Le phénomène de « l’économie du partage » est encore très récent et pour plusieurs analystes il manque d’une définition claire et précise. Plusieurs auteurs se réfèrent plutôt à la « consommation collaborative ». Elle s’appuie sur un modèle économique fondé sur l’échange, la vente ou la location de produits et services qui favorisent l’accès plutôt que la propriété. Certes, le partage et la collaboration entre agents économiques existent depuis des temps immémoriaux, mais les tentatives de systématisation du concept ont tout au plus dix ans. On distingue trois modalités de consommation collaborative et d’économie du partage. Premièrement celle du partage des produits et services dans la mesure où les individus sont de plus en plus axés sur l’usage lorsque leur propension à posséder diminue. Des entreprises comme Communauto et car2go, par exemple, permettent à ses usagers l’accès à un véhicule partagé chaque fois qu’ils en ont besoin. Deuxièmement, il y les marchés de redistribution qui consistent à créer des environnements où les individus peuvent se rencontrer et échanger des biens. C’est le principe des puces et des marchés d’occasion dont les plateformes Kijiji, LesPAC et eBay en sont des exemples très populaires au Québec. Troisièmement, la dernière manifestation de l’économie du partage passe par les styles de vie collaborative qui mettent en relation des individus dans la perspective d’échanger des biens intangibles comme l’espace, les compétences ou simplement les centres d’intérêt.
Le lecteur qui désire en savoir plus trouvera dans les cinq lectures suivantes (et dans les cinq autres pour aller un peu plus loin) du matériel pour mieux comprendre l’économie du partage, de ses fondements à son évolution récente. Les deux premières lectures ont une approche plutôt philosophique de l’économie du partage. Ce modèle économique et la consommation collaborative y sont perçus comme porteurs de changement social : le passage d’une économie basée sur la satisfaction de besoins individuels à un retour vers des valeurs sociales et communautaires plus anciennes. Le troisième ouvrage analyse l’économie du partage en termes de transition écologique. La quatrième lecture est consacrée aux activités d’Uber au Québec. Enfin, le cinquième et dernier texte résulte d’une enquête du magazine Protégez-Vous sur l’économie du partage au Québec.
1 / Botsman Rachel, et Rogers Roo, What’s mine is yours: How collaborative consumption is changing the way we live, Harper Business, 2010, 279 p.
Selon de nombreux analystes, cet ouvrage est le premier texte de référence sur la consommation collaborative. Il commence par présenter l’état et les perspectives de la consommation collaborative en 2010. Cette année-là, lors de la parution du livre, la consommation collaborative a déjà produit des résultats importants, comme l’illustrait la réussite de eBay et de Craiglist, qui ont été créés dans les années 1990 et qui ont construit leur succès durant les années 2000. Toutefois, le corpus sur la consommation collaborative n’est alors qu’à l’état embryonnaire. Le terme « consommation collaborative » n’aurait été créé qu’en 2007 par Ray Algar, dans un article de la lettre d’information Leisure Report [1]. Cette observation sur la consommation collaborative prend plus généralement son sens dans le cadre de la réflexion sur les pratiques de partage à l’âge d’Internet qui se développent dans les années 2000. Une autre influence intellectuelle du livre se trouve dans les travaux sur l’économie de fonctionnalité de Jeremy Rifkin, The Age of Access, paru en 2000.
L’ouvrage s’appuie dans un premier temps sur la dénonciation de la société d’hyperconsommation. Devant ce que les auteurs estiment être des « dérives induites par la société de consommation », ils décrivent et militent en faveur de l’émergence d’une alternative; la consommation collaborative. Pour eux, cette notion serait un passage de la génération du « moi » à la génération du « nous » et à la réhabilitation de valeurs anciennes.
Les auteurs dégagent quatre principes sur lesquels s’appuient les initiatives dans le domaine de la consommation collaborative :
Les auteurs sont les premiers à proposer une classification des systèmes de consommation collaborative en trois types :
Les auteurs s’intéressent également aux conséquences de la consommation collaborative sur le marketing et les marques. La consommation collaborative répondrait aux besoins supérieurs du consommateur. Enfin, Botsman et Roo abordent la question des impacts macroéconomiques du développement de l’économie du partage qui deviendra une source de nombreuses possibilités entrepreneuriales.
2 / Benkler, Yochai, La richesse des réseaux : marchés et libertés à l’heure du partage social, Traduction d’Anna Clerq-Roques, Martine Lahache, Béatrice Coing, Laurence Duval, Anne et Pierre Bouillon, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2009, 591 p.
Le titre de la publication La richesse des réseaux fait référence au célèbre ouvrage fondateur de l’économie politique libérale La richesse des nations d’Adam Smith. Toutefois, contrairement à ce dernier, qui entrevoit la création de la richesse essentiellement à travers une série d’interactions individuelles sur un marché, pour Yochai Benkler, les réseaux, notamment les réseaux informatiques et Internet, permettent de constituer de nouvelles formes collectives. La richesse en question n’est pas la prospérité matérielle, mais le développement immatériel d’une sociabilité inédite.
Pour Benkler, les réseaux informatiques sont porteurs d’innovations bien spécifiques. Ils permettent une vie sociale plus riche et plus épanouie et portent même une régénérescence des formes communales de relations sociales. En outre, il estime que les réseaux contribuent à remettre en cause la mainmise de l’économie de marché sur l’échange des biens d’information. D’un point de vue politique, ils favorisent la croissance, sur certains points, la liberté de communication et la liberté d’agir pour les individus.
3 / Demailly Damien, et Anne-Sophie Novel, « Économie du partage : enjeux et opportunités pour la transition écologique », Institut du développement durable et des relations internationales, Paris, no 03, 14 juillet 2014, 30 p.
Les vêtements, les automobiles, les meubles, les téléviseurs, les jouets et les articles de sport sont tous des biens qui sont « partageables ». Selon les auteurs, ces biens représentent environ un quart des dépenses des ménages et un tiers de leurs déchets. Ils estiment que si les modèles de partage étaient utilisés au mieux, c’est jusqu’à 7 % du budget et 20 % des déchets des ménages qui pourraient être économisés. C’est ce qu’ils appellent « la promesse environnementale du partage ». Les auteurs évoquent ce concept, car ils soulignent que peu d’études en font le bilan environnemental. Toutefois, les modèles de partage peuvent être autant le vecteur d’une consommation durable, moins matérielle qu’inversement, celui d’une hyperconsommation matérielle.
L’analyse de la durabilité environnementale des modèles de partage révèle des conditions qui sont autant de leviers d’actions et de choix. Ces conditions sont déterminées par les pouvoirs publics, les entrepreneurs et les consommateurs. Les pouvoirs publics doivent construire un cadre économique et réglementaire favorable à l’écoconception des produits et au recyclage. Tant qu’elles sont émergentes et à petite échelle, les initiatives du partage peuvent être soutenues par les pouvoirs publics. Toutefois, passée une certaine échelle, les entrepreneurs doivent faire des efforts pour analyser leur bilan environnemental, puis l’améliorer. Les entrepreneurs doivent aussi adapter les produits au partage, les recycler et optimiser les déplacements induits par le transport des biens. Pour les consommateurs la contribution environnementale des modèles de partage dépend beaucoup du comportement des utilisateurs et des valeurs qui les animent. Les études sur les motivations actuelles des usagers de l’économie du partage ou de la consommation collaborative convergent vers l’idée que la motivation principale est l’optimisation de son pouvoir d’achat, même si les considérations environnementales ne sont pas absentes des motivations individuelles.
4 / Castonguay, Alec, « Le monde selon Uber », L’Actualité, 13 avril 2016, 14 p.
En avril 2016, le magazine L’Actualité a publié un dossier sur le service Uber au Québec. Au début de l’année 2016, plus de 300 chauffeurs de taxi ont commencé à utiliser l’application Uber. Toutefois, lorsque le service UberX a commencé à mettre en relation des clients et des chauffeurs amateurs sans permis de taxi, la controverse sur la réglementation a éclaté.
Montréal est l’une des villes où l’ascension d’Uber a été la plus rapide, notamment en raison d’un imposant réservoir de travailleurs du secteur des technologies. Sa popularité y a atteint un sommet en janvier 2016 avec 450 000 requêtes, en hausse de 50 % par rapport à octobre 2015. Cette popularité a fléchi en février 2016, en raison des travaux de la commission parlementaire sur l’industrie du taxi et lorsque Uber a été accusé d’enfreindre la loi.
Les chauffeurs de taxi ont déposé une demande de recours collectif contre Uber en plus d’exiger une loi spéciale pour fermer l’entreprise. La Ville de Montréal est en conflit ouvert avec Uber. Montréal est présentement la seule ville en Amérique du Nord où l’on saisit à grande échelle les voitures conduites par des chauffeurs qui utilisent UberX : depuis janvier 2016 plus de 351 véhicules ont été saisis. Uber acquitte les contraventions reçues par les chauffeurs et conteste systématiquement les saisies à la Cour municipale. De plus, l’entreprise loue une voiture de remplacement à l’usage de ses chauffeurs.
Uber propose des solutions au gouvernement : imposition de frais annuels d’exploitation, taxe spéciale sur chacune des courses et perception des taxes des chauffeurs directement par Uber. En outre de nouvelles applications Uber pourraient voir le jour au Québec :
5 / Perron, Frédéric, « Zones d’ombre », Protégez-Vous, juillet 2015, 4 p.
L’auteur de « Zones d’ombre » note que les services comme Airbnb, Uber, Amigo Express ou Kijiji sont en pleine expansion. Selon lui, les citoyens qui utilisent ces services participent à l’économie du partage telle que définie par l’échange de biens et services entre individus. Dans la plupart des cas, une entreprise sert d’intermédiaire entre les deux parties pour faciliter les transactions, qui s’effectuent par l’entremise du Web ou d’une application mobile. Airbnb est en activité dans 190 pays et plus de 34 000 villes et serait évalué à 20 milliards de dollars, alors qu’Uber existe dans 55 pays et plus de 2 000 villes et serait évalué à 40 milliards de dollars.
Perron se demande si l’on peut vraiment parler de « partage » quand les commissions payées aux intermédiaires sont de l’ordre de 10 à 20 % et qu’elles se font au profit de grandes entreprises transnationales. Les autorités et les industries qu’elles bouleversent montent au créneau, dénonçant notamment leur façon de contourner les lois fiscales. De nombreuses questions se posent sur la légalité et la sécurité d’Uber. La légalité d’Airbnb est aussi remise en question, car le Règlement sur les établissements d’hébergement touristique encadre les locations à des touristes contre rémunération qui ne sont pas sur une base occasionnelle.
Par contre, le Bureau de la concurrence et l’Institut économique de Montréal se sont prononcés en faveur de l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché, soulignant les innovations qu’ils apportent et leurs tarifs réduits. Des économistes s’inquiètent cependant de l’effet de l’économie du partage sur le monde du travail, car les particuliers qui offrent leurs services ne profitent pas des avantages sociaux liés à un emploi en bonne et due forme. Les auteurs concluent que, au Québec, des services populaires tels qu’Amigo Express, Communauto et Kijiji ont ouvert la voie à l’économie du partage. Ils se demandent, toutefois, s’ils seront en mesure de s’implanter à long terme chez nous.
1 / Jacquet, Édouard, « Le “prêt payant”: les paradoxes de l’économie collaborative », Réseaux, no 190-191, 2015, p. 99-120.
2 / Heilbrunn, Benoît, « L’essor des pratiques collaboratives : partager plutôt que posséder », Études, mars 2016, p. 41-50.
3 / « Uber : From zero to seventy billion », The Economist, septembre 2016, 9 p.
4 / Deloitte, Economic effects of ridesharing in Australia, Deloitte Access Economics, 2016, 64 p.
5 / Katz, Vanessa, Indicateurs économiques et sociaux : la performance au Québec et dans les pays scandinaves. Note de recherche, mai 2013, surtout les pages 14 et 15.
Préparé par Richard L’Hérault, Service de la recherche, mars 2017
[1] Algar, Ray, « Collaborative Consumption », Leisure Report, avril 2007.
[2] Les gisements de capacité excédentaire font référence à la présence de produits de consommation qui ne sont pas utilisés de façon optimale. Par exemple, les automobiles des particuliers qui sont pour plus de 90 % du temps garées pourraient être partagées avec de nombreux utilisateurs.
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