Samuel Houngué, Service de la recherche
Avec la collaboration du Service de la référence
Mai 2018
Selon les observateurs, l’ère numérique constitue la quatrième révolution de l’économie mondiale. L’Australian Bureau of statistics définit l’économie numérique comme le réseau mondial des activités économiques et sociales qui sont activées par des plateformes telles que les réseaux, Internet, les appareils mobiles, les capteurs, le commerce électronique ainsi que par les efforts pour atteindre l’efficacité et la productivité dans la gestion des connaissances, la production et le stockage.
Comment cette nouvelle économie transforme-t-elle l’économie classique? Est-elle porteuse de croissance? Quels sont les leaders de cette nouvelle économie dans le monde? Quelle est son importance au Québec? Le présent texte apporte des éléments de réponse à ces questions.
L'émergence La quatrième révolution industrielle La productivité Le numérique dans le monde Le numérique au Québec |
À la suite de la crise économique de 2008-2009, le monde a connu plusieurs années de croissance anémique dans les pays occidentaux et forte dans les pays émergents. Les premiers ont alors mis au point de nouveaux outils de transformation des affaires et de création de richesse : les technologies numériques. Ces dernières ont permis aux pays avancés de réduire leurs coûts de production tout en alimentant et en soutenant la croissance économique des pays émergents.
Partout, les nouvelles technologies augmentent la demande en éducation et en perfectionnement, l’efficience des facteurs de production, les revenus et la consommation. Elles transforment le marché global, du comportement du consommateur aux modèles d’affaires. Au cœur de cette mutation se trouvent Internet, les téléphones mobiles, l’infonuagique[1], l’informatique décisionnelle et les médias sociaux. Selon un sondage mené auprès de 368 grands décideurs corporatifs en 2014, 65 % des sondés désignaient les applications mobiles comme la technologie qui aura le plus grand impact positif sur leur entreprise dans les cinq années suivantes[2]. L’informatique décisionnelle et l’infonuagique suivaient ex aequo avec 35 % et les médias sociaux, avec 30 %.
On prévoit qu’en 2020, grâce à l’économie numérique, le produit intérieur brut (PIB) total de sept pays émergents (Brésil, Chine, Inde, Indonésie, Mexique, Russie et Turquie) dépassera celui du G7[3], et que la Chine sera devenue la plus grande économie du monde[4].
Selon plusieurs observateurs, le développement du numérique constitue la quatrième révolution industrielle[5], dont on ne peut encore déterminer les contours. Cette révolution se caractérise par la fusion de technologies qui brouillent les frontières entre le physique, le numérique et le biologique. Elle accroît considérablement les possibilités de connexion, lesquelles se multiplieront encore par les technologies émergentes comme l’intelligence artificielle, l’Internet des objets, l’impression 3D, les nanotechnologies, les biotechnologies, etc.
Comme les précédentes, la quatrième révolution comportera ses opportunités et ses défis. À long terme, elle augmentera le niveau de vie global des sociétés et procurera des gains d’efficience et de productivité aux entreprises. Elle transformera aussi le marché du travail et pourra creuser l’écart de rémunération entre le capital et le travail, et entre travailleurs qualifiés et non qualifiés. Les médias sociaux, qui sont devenus le moyen d’information et d’éducation par excellence de près du tiers de la population mondiale, sont susceptibles de favoriser une plus grande compréhension et cohésion interculturelle. Toutefois, ils se révèlent aussi très efficaces comme vecteurs de propagation d’idées et d’idéologies extrémistes.
Certains impacts du numérique se font déjà sentir à différents niveaux. Ainsi, sont apparus l’économie collaborative, la conquête virtuelle des marchés mondiaux et la numérisation rapide de nouveaux services. Sur le plan politique, l’appropriation rapide des électeurs par des politiciens à peine connus quelques mois auparavant est rendue possible par les médias sociaux. Le numérique force aussi les gouvernements à plus de transparence et à de nouvelles approches politiques et réglementaires. Pour les citoyens, les notions de vie privée et de propriété, les modèles de consommation, de rapports au travail, etc. sont aussi en train d’être changés. D’autres impacts sont encore inconnus, notamment la mesure dans laquelle les outils de la nouvelle révolution industrielle seront maîtrisés et orientés par les individus.
Selon certains auteurs, l’économie numérique est jusqu’ici caractérisée par une faible croissance de la productivité. Ils arrivent à cette conclusion en comparant l’évolution de la productivité du travail à celle de l’économie globale.
Selon eux, le taux de croissance moyen de la productivité du travail est passé de 2,6 % entre 1996 et 2006 à 2,4 % entre 2007 et 2014. Celui de la productivité globale a chuté de 1,3 % entre 1999 et 2006 à 0,3 % entre 2007 et 2014. Qui plus est, aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Allemagne, la contribution du secteur producteur des TIC au taux de croissance de la productivité globale a faibli significativement depuis 2007. De plus, les industries les plus intensives en technologies numériques ont participé à ce ralentissement à hauteur de 54 % à 66 % selon les pays[6].
Pour autant, ces auteurs ajoutent qu’il ne faut pas conclure que la nouvelle économie numérique est définitivement non productive. Cela, pour au moins trois raisons. En premier lieu, on assiste à une baisse rapide des prix des TIC, une expression certes d’une croissance de la productivité, mais difficile à mesurer. En deuxième lieu, les dépenses des entreprises en services numériques prennent le pas sur les investissements en infrastructures et les prix des premiers baissent plus que ceux des secondes. Les entreprises se tournent alors davantage vers l’externe pour leurs infrastructures. Cette stratégie les rend plus flexibles, plus évolutives et plus efficaces dans la gestion de leurs données. Elles sont donc bien plus productives, même si on ne réussit pas encore à mesurer ce gain. La troisième raison résulte de la difficulté des entreprises à accumuler et à utiliser les bases de connaissance telles que les données massives.
Au-delà de ces considérations, on peut aussi penser, comme certains autres auteurs, que la nouvelle économie numérique est encore dans la phase d’installation. Celle-ci se caractérise par l’intérêt et les investissements dans les TIC d’un grand nombre d’entreprises, dont peu arrivent néanmoins à en tirer profit. Selon ces auteurs, cette phase initiale sera vraisemblablement suivie d’une période d’ajustement des attentes et des investissements et enfin d’une phase de déploiement. Cette dernière se caractérisera par l’omniprésence et l’adaptation de la nouvelle technologie à plusieurs applications, par des baisses des prix des technologies et la présence d’économies d’échelle.
Un phénomène semblable a été observé de 1990 à 1995 alors que des changements technologiques sont survenus. Il a été désigné par le terme « paradoxe de productivité ». La situation s’est résorbée d’elle-même et on a assisté à la reprise de la croissance de la productivité alimentée par les TIC entre 1995 et 2004. Peut-être, assistera-t‑on à la répétition du même phénomène au cours des prochaines années!
Dans plusieurs États à travers le monde, l’économie numérique recueille l'attention des autorités. Ainsi, le Royaume-Uni s’est doté d’une loi pour une économie numérique en avril 2016. La France lui a emboîté le pas avec sa Loi pour une République numérique en octobre 2016. De nombreux pays ont mis en place des stratégies numériques nationales dont la portée et l’avancement de la mise en œuvre varient[7]. Ainsi en est-il de l’Allemagne, de l’Australie, du Canada, de la Corée du Sud, des États-Unis, de la France, du Japon et de la Ville de New York.
Selon une source, en 2016, le chiffre d’affaires du commerce électronique entre les entreprises et les consommateurs s’est élevé à 1 922 milliards de dollars, soit 8,7 % du total des ventes au détail dans le monde[8]. Cela représente une hausse de 24 % par rapport à 2015. On prévoit que ce chiffre montera à 4 000 milliards de dollars en 2020 et représentera 14,8 % des ventes au détail dans le monde[9]. Le commerce électronique entre les entreprises s’est élevé à près de 23 000 milliards de dollars. Selon d’autres sources[10], en 2015, l’économie numérique mondiale représentait 23 % des 76 000 milliards de dollars de PIB du globe. On estime qu’elle pourrait générer quelque 2 000 milliards de dollars supplémentaires d’ici 2020. Le tableau 1 présente les pays les plus avancés en la matière sur la base de la contribution du numérique au PIB.
Tableau 1 : Les 11 premières économies numériques (2015)
Pays |
% PIB |
Pays |
% PIB |
États-Unis |
6,0 |
Brésil |
3,8 |
Royaume-Uni |
5,0 |
Espagne |
3,5 |
Australie |
4,8 |
Japon |
3,1 |
France |
4,5 |
Italie |
3,0 |
Allemagne |
4,3 |
Chine |
1,9 |
Pays-Bas |
4,0 |
|
Selon le Forum économique mondial (FEM), certains pays ne déploient pas tout leur potentiel. Le tableau 2 illustre 4 de ces pays et leur ratio de PIB potentiel.
Tableau 2 : Potentiel du PIB numérique de 4 pays (2015)
Pays |
% PIB |
Brésil |
6,6 |
Italie |
4,2 |
Chine |
3,7 |
Japon |
3,3 |
En outre, tous les pays n’ont pas une capacité égale à intégrer les TIC dans leur développement économique et social. Le FEM classe 139 pays selon un indice, le NRI ou Networked readiness index. Le tableau 3 présente les 10 meilleurs indices en 2015.
Tableau 3 : Les premiers pays en fonction de leur NRI (2015)
Pays |
Rang |
Pays |
Rang |
Singapour |
1 |
Pays-Bas |
6 |
Finlande |
2 |
Suisse |
7 |
Suède |
3 |
Royaume-Uni |
8 |
Norvège |
4 |
Luxembourg |
9 |
États-Unis |
5 |
Japon |
10 |
Du NRI 2015 se dégagent des constats : la nécessité de l’innovation en continu; le retard des entreprises et des gouvernements par rapport à la population; le besoin de nouvelles règles de gouvernance et de réglementations.
Ainsi, les pays qui sont en tête de liste du NRI 2015 se démarquent par l’implication des gouvernements et des entreprises dans les technologies, de solides infrastructures numériques et Internet à haute vitesse à coût abordable. Le Canada occupe la 14e position. La faible utilisation des TIC par les particuliers (31e position) et les coûts élevés de l’accès aux TIC (61e position) expliquent ce rang.
En 2016 et en 2017, le Québec s’est doté respectivement d’un plan d’action et d’une stratégie numériques. En 2015, le PIB de l’économie numérique québécoise était de 15 milliards de dollars, ou 5,1 % du PIB total. Ce secteur employait 150 000 personnes ou 3 % des travailleurs québécois. En Ontario et au Canada, les PIB du numérique s’élevaient respectivement à 32 et à 75 milliards de dollars.
Au Québec, en 2016, les dépenses d’achats en ligne sont évaluées à 8,5 milliards de dollars, 6 % de plus qu’en 2015. Les entreprises de TIC couvrent tous les secteurs économiques, tel qu’illustré ci-après.
Tableau 4 : Le taux de présence par secteur
Secteur |
Taux |
Secteur |
Taux |
Manufacturier |
33 |
Transport et entreposage |
20 |
Financier |
29 |
Commerce de gros |
19 |
Ministères |
27 |
Primaire |
17 |
Commerce de détail |
26 |
Construction |
12 |
Autres services privés |
25 |
Grand public |
8 |
Santé |
23 |
Autres |
11 |
Éducation |
21 |
|
Adapté de : http://www.aqt.ca/wp-content/uploads/2016/03/Rapport-AQT-FINAL_WEB1.pdf
L’industrie du numérique est composée à 95 % de petites et moyennes entreprises (PME). Parmi elles, 37 % comptent entre 1 et 9 salariés, 50 %, entre 10 et 49 salariés et 13 %, plus de 50 employés. Au Canada, les pourcentages pour ces trois catégories sont respectivement de 86 %, de 11 % et de 3 %.
Les PME québécoises en TIC ont en moyenne 20 ans. Elles tirent leurs revenus surtout de la vente de logiciels et de services. En 2016, 34 % des logiciels livrés l’ont été en infonuagique[12] et pour les entreprises créées après 2015, ce taux s’élève à 55 %. Les ventes de services fournissent 55 % des revenus de l’industrie contre 37 % pour l’ensemble du Canada. Les revenus des entreprises québécoises proviennent à 34 % des exportations dans le reste du pays et dans le monde.
Au Québec, trois crédits d’impôt remboursables touchent spécifiquement aux charges salariales engagées par l’industrie des TIC : le crédit pour la recherche-développement, le crédit pour le développement des affaires électroniques et le crédit pour les titres multimédias[13]. En 2015, les crédits accordés représentaient 8 %, 2 % et 1 % du chiffre d’affaires des entreprises admissibles. Cette faible utilisation s’explique, entre autres, par les critères d’admissibilité sévères et les délais de remboursement par le gouvernement.
RÉCENTS TRAVAUX PARLEMENTAIRES | ||||
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EN QUELQUES MOTS | ||||
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EN QUELQUES CHIFFRES | ||||
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[1] Selon l’Office québécois de la langue française, l’infonuagique est un modèle informatique qui, par l'entremise de serveurs distants interconnectés par Internet, permet un accès réseau, à la demande, à un bassin partagé de ressources informatiques configurables, externalisées et non localisables, qui sont proposées sous forme de services évolutifs, adaptables dynamiquement et facturés à l'utilisation.
[2] Oxford economics, The new digital economy: how it will transform business? Oxford economics, 2014, 7 p.
[3] En 2016, les 7 pays émergents (E7) avaient un PIB nominal de 22 121 milliards de dollars et le G7, de 35 492 milliards. Les premiers représentaient donc 62 % du poids des seconds.
[4] En 2016, les États-Unis et la Chine avaient des PIB respectifs de 18 562 et de 11 392 milliards de dollars.
[5] La première révolution industrielle utilisa l’eau et la vapeur pour mécaniser la production. La deuxième utilisa l’électricité pour faire la production de masse. La troisième utilisa l’électronique et les technologies de l’information pour automatiser la production.
[6] Ark, Bart van, The productivity paradox of the new digital economy, International productivity monitor, no 31, automne 2016.
[7] Ainsi, la Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement a passé en revue les stratégies de développement numérique de plus de 100 pays. Les résultats de cette analyse, présentés dans le World Investment Report 2017, indiquent que nombre de ces stratégies ne répondent pas correctement aux besoins d’investissement. Moins de 25 % d’entre elles précisent les investissements d’infrastructure requis, et moins de 5 % abordent la question des autres investissements nécessaires, notamment pour développer le secteur du numérique. En outre, les organismes de promotion de l’investissement sont rarement invités à participer à l’élaboration des stratégies de développement numérique.
[9] eMarketer, le chiffre d’affaires de l’e-commerce dans le monde, www.journaldunet.com.
[10] World economic forum, News release, 6 juillet 2016; Étude sur le rôle du digital dans l’activité économique, 28 janvier 2016; World economic forum, The ten countries best prepared for the new digital economy; Raconteur, The digital economy, raconteur.net, 19 janvier 2016.
[11] Pour en savoir plus, voir : Association québécoise des technologies, le baromètre de compétitivité 2016; Denis Lalonde, « L’industrie québécoise des TIC se porte bien, mais fait face à certains défis, Les Affaires, 27 mars 2015; Conseil des technologies de l’information et des communications, Revue annuelle de l’économie numérique 2015.
[12] Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques, moins de 30 % des PME des pays membres ont recours à l’infonuagique.
[13] Pour sa part, l’Ontario propose pas moins de 11 crédits d’impôt visant, entre autres, le marketing, la distribution, le mentorat, l’appui au démarrage de jeunes entreprises, l’appui aux nouveaux projets, etc. https://www.aqt.ca/nouvelles/lassociation-quebecoise-des-technologies-revele-les-resultats-de-son-barometre-de-competitivite-aqt-2016-des-entreprises-en-tic-au-quebec/.
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